Extrait du Journal de la Reine Victoria - "Leaves from a Journal"
“Visite de la Reine et du Prince Consort à l’Empereur des français”, pages 96 à 100.
Alors que Napoléon III et l’Impératrice Eugénie s’étaient rendus pour la première fois en Angleterre en avril 1855, c’est seulement quelques mois plus tard, à l’occasion de l’Exposition Universelle, que la Reine Victoria et le prince Albert de Saxe-Cobourg sont accueillis en France par l’Empereur le 18 août 1855. Ils sont reçus au palais de Saint-Cloud et de nombreuses visites, cérémonies officielles, et autres divertissements sont organisés spécialement pour eux : Versailles, Louvre, Tuileries, Invalides, soirée à l’Opéra, bal, etc…
Le 25 août, les invités britanniques sont conduits par le couple impérial en forêt de Saint-Germain en Laye, au Pavillon Royal de la Muette. La Reine fera le récit de cette journée à la campagne dans son journal personnel, dont nous avons retrouvé un exemplaire imprimé.
Samedi 25 août 1855
“L’air était frais, rafraîchi par la pluie tombée dans la nuit, ciel gris. L’empereur était ravi de deux vues stéréoscopiques de Sydenham[1] que je lui avais offertes après qu’il s’y soit rendu accompagné de l’Impératrice. Occupée à écrire. Une fois habillée et prête à partir pour Saint-Germain, je vais voir cette chère Impératrice, qui, ayant dormi sans protéger ses cheveux, était passablement ébouriffée mais toujours aussi jolie ; avec son amusant, son tout petit chien de race cubaine, et cette petite bête toute fragile qu’elle appelait Linda et qu’elle avait coutume de porter sur son bras, dans son lit. (…)
Nous partîmes à onze heures et demie pour la Forêt de Saint-Germain, il ne manquait au groupe que Lord Clarendon qui ne pouvait être présent, nous étions donc en voiture avec l’Empereur et Vicky[2]. Le carrosse quitta le château et traversa le parc de Saint-Cloud par une charmante route qui parcourait une belle campagne ; nous passâmes par un petit village nommé La Celle Saint-Cloud, bordé de jolies maisons de campagne, très soigné, ainsi que le sont chacun des villages que nous vîmes. Nous traversâmes ensuite Bougival, où se pressaient toutes sortes de gens agitant des bouquets, dont parmi eux les autorités locales, le curé, etc, brandissant arches, bannières et mots d’accueil. (…). Lorsque l’on passe dans ce village la vue devient très belle, largement dégagée, généreusement boisée, les toits plats des maisons se succèdent. Albert fut marqué par ce paysage aux airs italiens.
Nous allâmes ensuite à Marly, ou du moins à la Machine de Marly sur la Seine, que la route longe. C’est un joli endroit avec de nombreuses maisons de campagne. A Marly, nous fûmes de nouveau accueillis par une arche, des bouquets et un mot de bienvenue. Assez vite, nous gagnâmes la forêt de Saint-Germain, avec ses innombrables avenues qui, en certains points de la forêt, se rejoignent en une sorte de carrefour ; avenues qui elles-mêmes s’ouvrent sur des chemins plus étroits. Cela ressemble beaucoup à la forêt d’Eu où le pauvre Roi nous avait conduits[3], et dont il était si content et fier, l’ayant tout juste acquise ! Le sol était atrocement poussiéreux et sablonneux (c’est le cas partout ici, ce qui est en réalité plutôt positif[4]). Le soleil perçait le ciel, et tout cela devint oppressant.
Nous arrivâmes aux alentour d’une heure et demi, ou un peu avant, à La Muette, un petit rendez-vous de chasse disposant de quelques chambres, elles avaient d’ailleurs été préparées pour nous recevoir. Le Maréchal Magnan (Grand Veneur), le Comte Edgar Ney, M. de Toulongeon et d’autres, nous accueillirent, tous en tenue de chasse : veste vert foncé portée sur un gilet rouge, hautes bottes et chapeau incliné. De nombreuses personnes des alentours étaient présentes, dont ce cher Lablache, qui avait été appelé en tant que traducteur, et qui fondit en larmes quand l’Empereur lui serra la main et lui dit : « La Reine m’a recommandé votre fils ».
Les chiens furent alors présentés par les chasseurs, qui jouèrent un air sur leurs cornes de chasse. Des jeunes filles, tout de blanc vêtues et portant des couronnes vertes, demandèrent la permission de s’approcher de moi avec un petit bouquet de fleurs et quelques fruits, et elles vinrent accompagnées du curé. L’une d’elles, une très jeune enfant, entama un long discours qui parlait de notre visite ici, de l’alliance, de l’Exposition[5], etc ; elle s’arrêta alors, empêchée par un trou de mémoire : « Ah, mon Dieu ! ». L’Empereur et moi-même proposâmes qu’elle puisse disposer, nous la débarrassâmes de son bouquet et la remerciâmes ; mais la petite ne voulait pas renoncer et répondit : « Attendez, cela va me revenir », ce qui nous agaça un peu mais, en persévérant, son texte lui revint en mémoire. Elle flancha une deuxième fois, cependant, et alors le curé, qui était de toute évidence l’auteur du discours, souffla à la fille « Vive la Reine d’Angleterre ! ». La petite repris alors : « Vive la Reine d’Angleterre, vive sa Demoiselle, vive son Prince Albert, vive l’Empereur, vive l’Impératrice, vive tout le monde ! ». Nous rîmes beaucoup ensuite de cette scène comique, et pourtant cette pauvre petite fille aurait mérité notre bienveillance pour son courage et sa persévérance. (…)
Après cela nous déjeunâmes, avec simplement l’Empereur et les deux enfants, dans une petite pièce, à l’écart des autres qui déjeunaient aussi. La troupe des Gardes jouait un air sur la terrasse face à la maison tandis que les chasseurs jouaient une fanfare. Ces derniers portaient eux aussi un habit vert foncé et or, avec une veste rouge et des guêtres blanches. Quant aux Gardes-chasse, ils étaient en vert foncé, guêtres marron et chapeau incliné. Les gendarmes eux aussi étaient très élégants.
L’Empereur nous avait fait servir hier une excellente bière allemande, qu’il avait faite brasser spécialement pour l’occasion et qui plut beaucoup à Albert[6]. La volaille et le bouillon étaient vraiment délicieux, plus généralement la cuisine d’ici est simple et bonne mais moins variée que la nôtre.
Après le déjeuner, nous parlâmes ensemble un moment, puis nous allâmes dans l’entrée ou plutôt dans le hall, où nous nous assîmes ; je pûs alors dessiner un peu[7] et écouter la musique, qui était très belle. L’Empereur était gai et dansait avec les enfants.
[1] Quartier de Londres où Napoléon III s’était rendu la même année lors d’une visite officielle en Angleterre.
[2] Fille ainée de la Reine Victoria et du Roi Albert.
[3] Le roi Louis-Philippe reçu deux fois la Reine Victoria à Eu, en 1843 et 1845, signifiant l’Entente Cordiale entre la France et le Royaume-Uni.
[4] L’intérêt de la chasse en forêt de Saint-Germain est que le sol y étant sablonneux, la forêt est moins boueuse.
[5] La tenue de l’Exposition Universelle de 1855 à Paris fut l’origine de la venue de la Reine Victoria en France.
[6] Le prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha était d’origine allemande.
[7] L’on dispose de trois esquisses de la Reine Victoria datant du 25 août 1855, réalisées à La Muette et figurant dans les collections de Buckingham Palace.
De là nous retournâmes directement à Saint-Cloud, par une toute autre route, à travers Chatou, très bien décoré, où l’on nous offrit des fleurs.
[8] Le roi catholique Jacques II, qui régna de 1685 à 1688 sur l’Angleterre, l’Ecosse et l’Irlande, ayant fui son royaume, fût accueilli par Louis XIV au château de Saint-Germain où il mourut.
[9] Passionné d’archéologie, l’empereur décide, en 1862, d’installer dans le Château de Saint-Germain le « Musée des Antiquités celtiques et gallo-romaines ».
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